Aux Antilles, à la table de Noël

Sans neige ni sapin, Noël prend sous les tropiques une saveur spéciale. Au-delà des festivités coutumières, c’est en cuisine que la Guadeloupe et la Martinique montrent le plus d’originalité. Boudin créole, jambon caramélisé, sorbet coco, schrubb… le repas de la Nativité est une fête gustative. Jwayé Nwel !

Et pourquoi ne pas célébrer Noël sous les tropiques des Caraïbes ? Aller là-bas pour les fêtes de fin d’année ajoute un dépaysement certain au plaisir déjà grand d’échapper au froid européen. D’autant que les Antillais aiment cette période ! Chaleureuse, amicale, festive, l’ambiance grimpe d’un cran dans ces îles où la population, majoritairement catholique, a l’habitude de fêter la naissance du Christ.

Ornements aux balcons, guirlandes de lumière…

Avant d’évoquer la cuisine, parlons un peu de cette ambiance. A la place du sapin, les palmiers ! Au lieu de la neige, les plages de sable doré ! On a connu pire cadre. Surtout, les guadeloupéens et martiniquais – comme les habitants de Saint-Martin et de « Saint-Barth ». prennent plaisir à décorer richement leurs villages et leurs intérieurs. Noël, c’est la période où les cannes à sucre sont en fleurs – joli décor - et l’habitude a été prise par les locaux d’entourer aussi les troncs des palmiers avec des guirlandes de lumière. Dès la fin novembre, villes et villages de Guadeloupe et de Martinique se couvrent de décorations. Ornements aux balcons, dans les rues, sur les bâtiments publics… l’émulation existe et s’exprime à travers des concours d’illuminations. Honneur à celui ou celle qui aura le mieux décoré sa commune ou sa maison. Dans les foyers, les familles les plus respectueuses de la tradition installent, bien en vue, une branche de filao.

Chanté Nwel !

Les marchés de Noël ont aussi pignon sur rue. En Martinique, les plus réputés sont ceux de Fort-de-France et du Lamentin. En Guadeloupe, on profitera en décembre des marchés de Noël de Basse-Terre, Baie-Mahault, Saint-François, Trois-Rivières, Saint-Claude, Le Lamentin, Deshaies… « Chanté Nwel » est-il souvent écrit sur les affiches annonçant ces festivités… Chanté Nwel ? C’est la grande affaire culturelle de la Nativité ! Pure tradition antillaise ancestrale héritée du temps de l’esclavage, ces chorales de Noël mélangent cantiques religieux et chansons créoles, sur des rythmes afros-caribéens. Moment de convivialité partagé en famille ou entre amis, ces concerts se déroulent sur scène, en extérieur ou dans des salles des fêtes, dès le mois de novembre. Ils sont aussi diffusés sur les radios locales. Les chants sont accompagnés d’instruments traditionnels, tambour et ti-bois, ou plus modernes, guitare, batterie, synthé… Et tout le monde tape dans les mains.

Cantiques en créole et en français

Déclamés ou français et en créole, ces chansons comme « Michaud veillait », « Allez mon voisin », « Dans le calme de la nuit » ou « Joseph, mon cher fidèle », peuvent être reprises par les touristes grâce au « Kantik », un recueil qui rassemble les principaux airs et que l’on trouve sur place lors des concerts. Impossible de passer à côté de l’un de ces Chanté Nwel, piliers de l’identité antillaise ! Les hôtels et les offices de tourisme sont les mieux placés pour renseigner sur les lieux où ils se déroulent. Autre incontournable de Noël : la messe de minuit, le 24 décembre. Elle a lieu en général en toute fin d’après-midi et s’y rendre permet de croiser les habitants, qui ont revêtu pour l’occasion leurs plus beaux vêtements.

Le schrubb, un rhum arrangé aux écorces d’orange

Mais venons-en à la cuisine. Car toutes ces festivités ne seraient pas complètes s’il n’y avait l’art de la table. Déjà, sur les marchés de Noël, agriculteurs et producteurs locaux ont plaisir à proposer aux touristes des spécialités locales, tels l’igname ou le blanc-manger coco (un flanc goûteux). Ils servent également l’inévitable ti-punch. Une boisson qui coule aussi abondamment que le vin chaud chez nous. Un autre breuvage est absolument emblématique de Noël aux Antilles : le schrubb. Cette liqueur à base d’écorces d’orange commence à être préparée dès l’automne. On fait alors sécher les écorces au soleil avant de les mettre à macérer dans des rhums pour obtenir ce rhum arrangé « spécial fêtes ». A chaque famille sa recette !

Pois d’angole, ignames, tranches d’ananas…

Quand l’estomac crie famine, les cordons bleus antillais ont les moyens de les apaiser. Car à Noël, on sait satisfaire les papilles avec des repas très copieux. En Guadeloupe comme en Martinique, le porc est mis à l’honneur. Boudin créole (rouge ou blanc) épicé et parfumé, pâté salé, ragoût de cochon et, en guest star, jambon caramélisé au sucre. Celui-ci doit être assaisonné selon les règles de l’art : cinq baies, quatre épices, du sucre de canne et… un filet de vieux rhum pour aider à la caramélisation. Il est servi avec des tranches d’ananas, des pois d’angole, de l’igname de Noël ou des bananes. On peut aussi trouver des accras sur la table. Ces beignets salés sont le plus souvent préparés avec de la morue (ou avec d’autres poissons ou crustacés), ou avec des légumes péyi (locaux). Les lambis, gros mollusques à la chair gouteuse, sont devenus rares, leur pêche étant surexploitée. Grillé, en fricassé ou en boudin, accompagné d’haricots rouges, ce coquillage est très apprécié pour les fêtes.

En dessert, le pône, le tourment d’amour ou le sorbet coco

Quand aux desserts, c’est une farandole de plaisirs ! On déguste avec gourmandise le pône, un pain sucré agrémenté de vanille, cannelle, raisins, patate douce et potiron. On se régale, of course, de buche de Noël, parfumée ici au coco ou aux fruits de la passion. On en remet une couche en Guadeloupe avec le tourment d’amour, une tarte à la noix de coco. Et on fait passer le tout avec un blanc-manger au lait de coco arrosé d’un coulis, ou un sorbet coco agrémenté d’un zeste de citron et une touche d’amande amère, ou encore un chadec glacé, un agrume à la peau confite. Le lendemain, repu, on pourra plutôt que de regarder la télé ou se promener dans le froid comme dans l’Hexagone, profiter de la chaleur et du sable, et peut-être croiser le Père Noël en maillot de bain.